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mercredi 8 décembre 2010

Pour la gratuité des services publics locaux ?

 Tribune  parue dans le journal de L'Humanité du 23 novembre 2010

La crise sociale et écologique se conjuguent pour rendre plus que jamais nécessaire de nouvelles politiques de gestion des biens communs dans le but de satisfaire les besoins fondamentaux de chacun et de retisser du lien social dans un monde qui peine à faire société. C'est justement là le rôle premier du service public, qu'il soit local ou national. 

Le service public, auquel la population ne cesse de dire son attachement et dont le citoyen est autant usager qu'acteur, contribue en outre à revivifier l'IMPLICATION POPULAIRE. C’est pourquoi nous croyons nécessaire mais aussi possible de marcher progressivement vers la gratuité des services publics locaux, préalable à la construction d'une gratuité pour les services publics nationaux. 

La défense et l’extension de la sphère de la gratuité constituent le grand combat pour les prochaines décennies, parce qu’elle constitue une des valeurs fondamentales de la gauche, parce qu’elle est une façon de reprendre l’initiative sur la droite. La gratuité est nécessaire sur le plan social, environnemental, politique et même humain. En premier lieu, parce que dans le contexte actuel de  l’effondrement environnemental et social et face aux limites de la planète qui nous obligent à redevenir des « partageux », la gratuité pose la grande question du choix politique : que produit-on ? Comment ? Et pour qui ? Ce choix est élaboré en lien avec les besoins et les aspirations des citoyens: 


On nous oppose que la gratuité a un coût. Cela nous oblige donc à faire des choix. C’est aussi une bonne raison pour rendre la parole à ceux qui en sont privés. Le passage vers une société de la gratuité n’ira pas sans un surcroit de démocratie, sans un approfondissement de la démocratie électorale certes, mais aussi sans l’invention de nouvelles formes de démocratie directe. Le choix de construire la gratuité des services publics locaux permet de faire de la politique autrement, de faire apparaitre les limites environnementales et les enjeux sociaux. Veut-on que le stationnement soit gratuit pour les voitures ou préfère-t-on que la cantine soit gratuite pour les enfants ? Cette révolution CITOYENNE que nous proposons est celle de la « gratuité du bon usage » face au renchérissement, voire à l’interdiction du mésusage, du gaspillage. Il n’y a pas de définition objective ou moraliste : le bon usage est ce que les citoyens en font. La définition est donc affaire de mœurs, de rapports de force, d’état des lieux.


Le premier intérêt de ce paradigme est de résoudre la contradiction entre les contraintes environnementales et le souci social, car il ne suppose plus de faire croître la gâteau (PIB) avant d’en changer la recette pour le partager. L'autre grand avantage est de réconcilier le temps de la démocratie et celui des écosystèmes, car ce sera aux citoyens de définir ce qui relève du bon usage (et qui doit être gratuit) et ce qui relève du mésusage (et doit être réglementé ou interdit). Il fait donc disparaître toute contradiction entre le but et le chemin. Il exige à chaque étape que le politique (la délibération) soit premier. Le législateur saura trouver les solutions techniques adaptées : système de prix variables par niveaux de consommation ou par type d'usage, etc. Pourquoi payer au même tarif le mètre cube d’eau pour faire son ménage et remplir sa piscine privée ? Pourquoi payer son essence, son électricité, son gaz le même prix pour un usage normal et ce que la société considère être un gaspillage ? L'eau va manquer : raison de plus pour en rendre gratuit le bon usage et renchérir ou interdire les mésusages. Le danger serait bien sûr que cette politique renforce les inégalités en enfermant le peuple dans le nécessaire pendant que les riches accèderaient au superflu. C'est pourquoi ce paradigme de « la gratuité de l'usage » et du « renchérissement du mésusage » ne peut aller sans décroissance des inégalités. Nous devons réfléchir à la nécessité de donner à chacun de quoi vivre, frugalement sans doute, mais dignement. Nous commencerons donc par avancer vers la  gratuité des services publics locaux. Ici, on organise la gratuité des transports en commun urbains ; là, celle de l’eau propre correspondant aux besoins vitaux ; ailleurs, celle de la restauration scolaire ou des services funéraires ou des services culturels…

Tous ces morceaux de gratuité conquise sont des réponses à l’urgence sociale, ce sont aussi une façon de construire politiquement et culturellement la gratuité. Il n’y aura pas de société de la gratuité sans une culture de la gratuité, tout comme il n’y a pas de monde marchand sans une culture du marché. Nous devons admettre que parler de gratuité est devenu plus difficile qu’il y a quelques décennies compte tenu de la droitisation généralisée de la pensée. On nous objecte que la gratuité serait bonne pour ceux qui ne peuvent pas payer. Mais si on accepte ce raisonnement pour les transports en commun urbains, pourquoi ne pas l’accepter également pour l’école ou la santé publiques ? On oublie qu’il existe en fait deux grandes conceptions possibles de la gratuité. La gratuité d’accompagnement du système, c'est-à-dire cette gratuité pour les pauvres. Mais cette gratuité-là ne va jamais sans condescendance et sans flicage (est-ce que vous êtes un pauvre méritant ? Un vrai bon chômeur ?). L’autre conception de la gratuité est une gratuité au service de l’émancipation. Un exemple : ce qui est beau avec l’école publique, c’est qu’on ne demande pas à l’enfant s’il est gosse de riche ou de pauvre, c’est qu’il est admis en tant qu’enfant. Pourquoi ce qui est vrai pour l’école ne serait-il pas vrai pour les quatre domaines qui permettent de vivre frugalement certes mais dignement : le droit au logement, le droit à l’alimentation, le droit à la santé et à la culture. 


Le colloque que la Communauté d’Agglomération Les Lacs de l’ Essonne et Le Sarkophage (journal d'analyse politique) organisent le samedi 27 novembre sera l’occasion de rendre compte des expériences, de (re)penser une alternative globale à la crise du système capitaliste et à son cortège de misères, ce sera un colloque qui bouscule les idées reçues sur la déresponsabilisation par la gratuité, ce sera l’occasion de montrer que l'esprit de la gauche et de l’écologie est toujours de penser en dehors des solutions que nous impose le système productiviste capitaliste. A l’occasion de ce colloque, la Communauté  d’agglomération Les Lacs de l’Essonne mais aussi d’autres villes prendront l’engagement ferme de commencer dès maintenant à assurer à chacun de quoi vivre dans/par la gratuité. Une gratuité économiquement construite, une gratuité politiquement construite, une gratuité juridiquement construite, une gratuité culturellement construite, une gratuité construite dans les luttes sociales.

Paul Ariès,
directeur du Sarkophage

Gabriel Amard,
Président de la Communauté d’agglomération Les lacs de l’Essonne

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